La consultation



L’Empereur Jaune, dit : « Il est de mon devoir de prendre soin de mon peuple. Moi, qui lui fais payer des impôts, je suis affligé de ne pouvoir lui donner une compensation pour son travail et je suis très malheureux de voir mon peuple malade. C’est pourquoi je désire que l’on cesse d’utiliser des remèdes ou des poinçons de pierre afin d’éviter les blessures que cause leur mauvais usage, et que l’on fixe les règles et les méthodes de l’acupuncture en utilisant uniquement des aiguilles fines qui font circuler l’énergie, harmonisent le Qi et le Sang et combinent en souplesse la vitalité des méridiens Yin et Yang. J’ordonne que cette méthode soit transmise à toutes les générations futures, pour l’éternité, et qu’elle soit rendue facile à pratiquer et à retenir. » (Ling Shu, chapitre I)

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Une consultation en Acupuncture Traditionnelle débute par l’interrogation du patient et se poursuit par la prise de pouls et l’observation de la langue. Les points d’acupuncture sont choisis au regard de la cause de la dysharmonie et les aiguilles sont manipulées selon des critères très précis. Dans le cadre de son intervention, l’acupuncteur traditionnel ne se contente pas de soulager les douleurs, il contribue à expulser des circuits énergétiques de son patient les « énergies perverses » qui sont à l’origine de l’affection :

Il y a quelque temps, je recevais dans mon cabinet une patiente âgée d’une trentaine d’année venue pour des troubles liés au stress associés à des angoisses apparues deux ans plus tôt suite au décès d’un proche. C’était la première fois qu’elle venait, sur les conseils d’un ami, consulter un acupuncteur. Elle semblait avoir des doutes quant à sa démarche mais « voulait essayer ». Je n’avais pas fini de lui poser les aiguilles qu’elle me regarde d’un air surpris et me dit : « C’est bizarre, j’ai l’impression que toute la mauvaise énergie que j’avais en moi est en train de s’en aller ». Et d’ajouter « c’est possible ça » ?

Certains praticiens, formés d’après les programmes de Chine populaire, associent acupuncture et pharmacopée chinoise. En règle générale, ces thérapeutes privilégient la pharmacopée au détriment d’une acupuncture de qualité qui, si elle était pratiquée dans les règles de l’art, pourrait souvent à elle seule rétablir la santé du patient à moindre coût.

La Tradition Chinoise compte d’illustres personnages qui ont consacré leur vie entière à l’acupuncture et rédigé des Traités de plusieurs centaines de pages portant uniquement sur cette discipline qui se veut à la fois une science et un art. Ces praticiens avaient même leurs secrets personnels qu’ils se transmettaient de père en fils. Cela démontre clairement que l’acupuncture est une médecine à part entière, bien distincte de la pharmacopée. L’idée selon laquelle la pharmacopée constituerait l’essentiel de la Médecine Traditionnelle Chinoise est un mythe inventé par la Chine communiste. (Ce qui est cependant vrai, c’est que la pharmacopée constituait autrefois la médecine du peuple alors que l’acupuncture était réservée à l’élite et à la noblesse).

Précisons d’ailleurs que le Traité le plus ancien de Médecine Traditionnelle Chinoise, le Huangdi Neijing Su Wen, ouvrage qui fait toujours autorité, ne traite que de l’acupuncture et des grandes lois de l’énergétique.

Dans son excellent ouvrage, Images et fonctions des points d’acupuncture (Satas, 1994), Arnie Lade expose les différents effets thérapeutiques, et ils sont nombreux, que peuvent avoir les points en Acupuncture Traditionnelle. Nous présentons ci-dessous ces fonctions principales en ajoutant à chaque fois un exemple de point pour la fonction indiquée :

Active (cui): exemple: le point Shao ze (IG-1) favorise la lactation.

Assèche (zao): le point Feng long (E-40) assèche l’humidité en cas d’oedèmes, de glaires…

Est bénéfique (li): le point Jian yu (GI-15) restaure le fonctionnement normal de l’articulation de l’épaule.

Calme (an): le point Shen men (C-7) tranquillise l’Esprit.

Clarifie (qing): le point Wai guan (TR-5) élimine les facteurs pathogènes comme la Chaleur.

Débloque (tong): le point Tai yuan (P-9) anime les Vaisseaux Sanguins en restaurant la circulation du Qi et du Sang.

Décontracte (shu): le point Cheng shan (V-57) assouplit et détend les tendons.

Disperse (qu): le point Huan tiao (VB-30) disperse le facteur pathogène Vent.

Draine (xie): le point Tai chong (F-3) draine les facteurs pathogènes du Foie.

Eclaire (ming): le point Guang ming (VB-37) améliore la vision.

Elargit (kuan): le point Chi ze (P-5) décontracte a poitrine.

Enrichit (zi): le point Tai xi (R-3) nourrit le Yin.

Elève (sheng): le point Zhong wan (VC-12) fait monter le Qi médian.

Eteint (xi): le point Xing jian (F-2) calme le Foie.

Expulse (pai): le point Zhong ji (VC-3) expulse les calculs des voies urinaires.

Facilite (tong): le point Tan zhong (VC-17) facilite la lactation.

Fait circuler (shu): le point Nei guan (MC-6-) libère la stagnation du Qi du Foie.

Fait descendre (jiang): le point Gao huang shu (V-43) fait descendre le Qi rebelle.

Fait diffuser (xuan): le point Zhong fu (P-1) répartit et distribue le Qi du Poumon.

Favorise (li): le point Shen shu (V-23) stimule et favorise les urines.

Fortifie (qiang): le point Yang lin quan tonifie et restaure la force des tendons.

Humecte (run): le point He gu (GI-4) supprime la Sècheresse en humectant les tissus.

Libère ((jie): le point Yu ji (P-10) libère l’extérieur en favorisant la transpiration.

Nourrit (yang): le point Xue hai (Rte-10) augmente le Sang.

Ouvre (kai): le point Er men(TR-21) clarifie les orifices sensoriels, en l’occurrence l’oreille.

Produit (sheng): le point Lian quan (VC-23) favorise la production des liquides, en l’occurrence la salive.

Rafraîchit (liang): le point San yin jiao (Rte-6) rafraîchit la Chaleur du Sang.

Ramollit (ruan): le point Zu san li (E-36) ramollit les masses dures.

Ranime (xing): le point Ren zhong (VG-26) ranime la conscience.

Réchauffe (wen): le point Ming men (VG-4) réchauffe le Yang.

Réduit (xiao): le point Tian shu (E-25) réduit les stagnations digestives.

Régularise (tiao): le point Gui lai (E-29) régularise les menstruations.

Résout (li): le point Yin lin quan (Rte-9) fait disparaître la Chaleur-Humidité.

Restreint (lian): le point Fu liu (R-7) limite la transpiration. 

Rétablit (hui): le point Qi hai (VC-6) rétablit l’équilibre du Yin et du Yang.

Retient (she): le point Yin bai (Rte-1) retient le Sang à l’intérieur des vaisseaux.

Soumet (qian): le point Feng chi (VB-20) soumet et pacifie le Yang du Foie.

Stabilise (gu): le point Guan yuan (VC-4) consolide le Qi du Rein.

Stimule (fa): le point Qu chi (GI-11) favorise la transpiration.

Soulage (jie): le point Wei zhong (V-40) calme la douleur.

Tonifie (bu):le point Shen que (VC-8) fortifie et vitalise les organes.

Transforme (hua): le point Fei shu (V-13) transforme les Glaires-Humidité du Poumon.

Vivifie (huo): le point Qu quan (F-8) tonifie et fait circuler le Sang. 

En outre, un point d’acupuncture possède plusieurs fonctions. Le point San yin jiao (Rte-6) cité plus haut tonifie la Rate, le Qi et le Sang; élève le Qi; il retient le Sang et régule le Qi du Foie; il ramollit les masses; il fait circuler le Sang et soulage la douleur; il résout l’Humidité; il tonifie le Yin; il rafraîchit le Sang; il calme le psychisme; il régule la peau, les articulations le système circulatoire, les troubles digestifs, le système urinaire et le système de reproduction.

Si nous prenons maintenant l’une des fonctions de ce même point telle que « régule le Qi du Foie » Jeremy Ross, dans son ouvrage Associations de points (Satas, 2000, p. 235) apporte les précisions suivantes:

« il régule le Qi du Foie

Rte-6 affecte le Qi du Foie de diverses façons:

il lève la Stagnation du Qi du Foie

il calme l’Hyperactivité du Yang du Foie

il tonifie le yin du Foie

il tonifie le Sang du Foie

On peut l’utiliser lorsqu’une Stagnation du Qi du Foie affecte le Réchauffeur Inférieur, comme en cas de douleur et de distensions abdominales ou de dysménorrhée (règles douloureuses). On peut aussi l’employer lorsqu’une hypertension est liée à un Vide de Yin du Foie et une Hyperactivité du Yang du Foie ou un Feu du Foie, et se traduit par des symptômes comme des céphalées, des migraines, ou des sensations vertigineuses. »

Si les points d’acupuncture ont une action aussi étendue, il ne faut pourtant pas commettre l’erreur de les utiliser de façon isolée. Dans son ouvrage Les principes fondamentaux de la médecine chinoise (Elsevier, 2011, p. 1209) Giovanni Maciocia apporte une précision importante:

 » L’acupuncture agit à travers un système de méridiens et pas uniquement grâce à des points isolés, de sorte qu’il faut envisager chaque point non seulement pour son action propre, mais aussi pour la place qu’il tient dans le système des méridiens. Maîtriser l’action individuelle de chaque point n’est pas suffisant pour obtenir un traitement efficace en acupuncture car chaque point doit être considéré non pas de façon isolée mais dans le cadre de la dynamique du système de méridiens, de façon à obtenir une association harmonieuse. »

J’ai pris la peine d’apporter toutes ces précisions, qui paraîtront peut-être rébarbatives à certains, pour bien montrer que les points d’acupuncture sont, en Médecine Traditionnelle Chinoise, autre chose que de simples « zones réflexes » auxquelles ils sont parfois réduits. L’utilisation traditionnelle des points d’acupuncture est différente de la pratique, malheureusement répandue chez de nombreux acupuncteurs, qui consiste à utiliser des « points recettes » de façon empirique. Dans le premier cas le praticien va non seulement traiter la « branche » ( le symptôme) mais également la « racine » (la cause) de la dysharmonie. Alors que l’utilisation des « points recettes » ne va pas au-delà du symptôme et donne des résultats aléatoires.

Je ne m’attarderai pas ici sur les nombreuses techniques de manipulation, plus ou moins complexes, pratiquées par un acupuncteur aguerri dans le but d’exploiter au maximum les propriétés d’un point. Le Docteur Bernard Auteroche leur a consacré un ouvrage conséquent et bien documenté: Pratique des aiguilles et de la moxibustion (Maloine, 1989). Je terminerai ce chapitre en citant les recommandations du Su Wen (chapitre 25) à ceux qui ont trouvé leur vocation dans la pratique de l’Acupuncture Traditionnelle:

« On est maître de piquer plus ou moins profondément, de faire venir le Qi de plus ou moins loin; mais, dans tous les cas, on agira comme si l’on marchait au bord d’un gouffre, comme si l’on dressait un tigre, uniquement préoccupé de ce que l’on fait. »

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